Richard Hétu : Les figures de rêve par Jean-Pierre Duquette

Né à Sorel, en 1950, Richard Hétu est à l'orée d'une carrière qui semble vouée au succès. Autodidacte, il commence à peindre en 1968, et il se consacre exclusivement à la peinture depuis 1976. Difficile à classer à première vue, on pourrait situer ses œuvres récentes quelque part dans le vaste champ de la nouvelle figuration. Voué au succès à trente ans, et pour une raison très simple : les 52 toiles de cette exposition étaient vendues dans la demi-heure qui suivait l'ouverture de la galerie, le jour du vernissage. Situation périlleuse s'il en est : Richard Hétu sera-t-il tenté de refaire indéfiniment ce qui plaît au point où les collectionneurs s'arrachent littéralement ses œuvres, ou bien poursuivra-t-il sa recherche au risque de voir disparaître cet engouement aussi spectaculaire que subit? Suite à la prochaine exposition.

Pour l'heure, l'univers onirique de Hétu est assez envoûtant, donnant à voir un monde de l'étrange à lire comme des figures de rêve. Sa thématique plutôt restreinte se cantonne surtout dans des visages aux traits et aux volumes stylisés, souvent regroupés par deux, trois ou quatre : profils très droits, nez larges à l'arête et qui vont s'amincissent, bouches et oreilles minuscules. Les yeux sont des billes de verre transparent où luit souvent un point de lumière froide, qui regardent fixement, mais d'une façon généralement indifférente, absente. On devine parfois une lueur d'inquiétude, de nostalgie peut-être, à peine esquissée. De face ou de profil, ces têtes énigmatiques sont comme figées dans un formidable immobilisme qui trahit ici ou là la tension d'un drame tranquille, et occupent presque toujours tout le plan (rarement ces êtres sont-ils cadrés à mi-corps). Un certain maniérisme nous renvoie à Bronzino ou au Parmesan. Il arrive qu'une architecture — en volumes stylisés eux aussi — suggère quelque ville forte, des ramparts de théâtre. Le traitement des chevelures, des coiffures et des costumes semble relever d'un certain symbolisme.

La technique est extrêmement minutieuse et produit des tons aux dégradés infinis, veloutés. Jamais de couleurs violentes (sauf dans une toile d'avant la série actuelle, où apparaissent des rouges et des verts plus brillants) ; Richard Hétu travaille généralement dans des gris et des beiges rosés, des gris bleutés, diaphanes, avec quelques orangés éteints. La lumière est presque toujours neutre, indifférenciée. Les formats sont restreints (les quelques toiles les plus grandes ne dépassent pas 30 pouces sur 40).

Peinture extrêmement silencieuse, dans un temps suspendu, et qui engendre précisément le malaise qu'on peut éprouver devant la frontière de l'irréel. Ces figures expriment des fantasmes sages, mais en apparence seulement. Il se cache derrière ces regards innocents quelque chose d'indéfini et de glacé, comme la pureté enfantine sur un visage de dix ans.

Jean-Pierre Duquette

© Jean-Pierre Duquette - Vie des Arts, vol. 25, n°102, 1981, p. 65-75.

 

 


Laissez un commentaire